Ça sert à quoi l'ayurveda (3/5)
Me revoici pour le 3ème volet dédié à mon Panchakarma au Kerala (ma cure ayurvédique). Dans les deux premiers articles, je vous ai décrit en couleurs l’étape préliminaire de cette cure = nettoyer et fluidifier mon système digestif. S'ils insistent autant sur cette purification interne, c’est que la clef de voûte de notre santé réside dans nos entrailles.
J’aime beaucoup cette phrase qui dit “qu’on est pas ce que l’on mange, mais plutôt ce que l’on digère”. Et au vu des cochonneries indigestes qui ont put transiter par mes boyaux, il semble évident que je ne suis qu’un petit merdeux! J’ai toujours eu la prétention de croire que mes années de vagabondage m’avaient construit un estomac de fer. J’ai même renforcé cette croyance illimitante après avoir bu l’eau sacrée du Gange (ce qui m’aura valu une dysenterie). Je me suis également autoproclamé ‘béni des dieux’, car en dépit des quantités gargantuesques que j’ai avalé dans ma vie, j’ai conservé une ligne presque filiforme. Enfin, c’était le cas jusqu’à mes 40 ans! Avec le recul, je réalise avoir mal interprété les messages subliminaux de mes abdos, car un corps svelte n’est pas la preuve irréfutable de la bonne santé. Bref, je paye aujourd’hui le prix de mes dérèglements. Chez moi, ça se manifeste par une forme d’arthrose prématurée dans les doigts. Des phalanges qui je vous rappelle sont censées me hisser au sommet de falaises très abruptes et faire valser les cordes de mon ukulélé. De manière générale, mon corps est aussi raide qu’une baguette un lendemain de cuite (admire le jeu de mot!!!) et je produis assez de squames pour ouvrir une usine de globe de neige. Bon, je ne vais pas vous faire l’étalage de mes couacs mais il était temps pour moi de prendre ma santé un poil plus au sérieux, et c’est pour cette raison que je m’en remets à l’ayurveda. Et a priori, rien de mieux qu’un panchakarma (pancha = 5 et karma = action ou traitement) pour équilibrer ma santé.
Le Panchakarma c’est donc une série de traitements adaptés à votre dosha (votre constitution ayurvédique) et le but principal est de dégripper, huiler et dépolluer notre merveilleux véhicule terrestre. Bon, c’est bien évidemment une vulgarisation express de ce que représente cette médecine, et j’ai confiance que les curieux iront gratter sur internet. La seconde étape de mon ‘treatment’ était beaucoup plus douce et tout aussi huileuse que la première. D’ailleurs, si tu n’as pas lu les premières étapes de mon séjour, je t’invite à commencer avec cet article. Mon quotidien est simple. Je me lève à 5h, je fais ma routine buccale, je brûle un encens en priant pour les gens que j’aime, je médite sous le ventilateur et je retrouve ma Vaidyan (le docteur en Ayurveda) à 6h30 pour une session de yoga à la ‘presque’ fraîche - la touffeur étant omniprésente en cette saison. J’enchaîne directement avec mon massage double face suivi de l’un des 5 karmas. Si tu as lu mes premiers articles, tu te souviendras du swedana, alias, le 'plammam' (le placard-hammam). Mon second soin s’appelle le shirodhara. Une fois mon massage terminé, on m’installe sous un large bol en bronze rempli d’ une huile chaude et infusée aux herbes. Un filet d’huile se déverse alors sur mon front. À l’image d’un chiromancien qui fait danser son pendule (bon ok, je sais, le pendule bouge tout seul), le liquide ondule sur mon front et me plonge dans une sorte de légère transe relaxative (le jeu de mot avec laxatif est voulu). Avec un troisième oeil aussi bien lubrifié, j’anticipe des méditations emplies d’exaltation.
Je ne sais pas comment vous expliquer cet effet apaisant si ce n’est de vous renvoyer au moment où Mowgli, dans ‘Le livre de la jungle’ se fait envouter par Kaa. C’est exactement la sensation que j’ai ressenti, avec en bonus, la garantie qu’aucun python allait me briser les côtes (pour rester poliment au dessus de la ceinture).
J’ai tout de même l’impression que le panchakarma est rythmé pour vous faire baisser votre garde. On passe subitement du sucré à l’amer, de la douceur à l’épreuve. Après cette douceur frontale, on m’annonce que je vais à présent recevoir le Nasya. Après m'avoir incliné la tête en arrière, et tamponné les sinus avec une serviette chaude, je reçois quelques gouttes de ghee infusé aux herbes dans les naseaux. Inutile de vous dire qu’après ma première semaine à gober du ghee, l’odeur et le goût déclenchent une réaction d’aversion dans mon gosier. À ce stade, j’ai tellement ingéré de ghee que tu pourrais beurrer tes tartines en les frottant sous mes aisselles. Le but du nasya n’est pas que le ghee descende dans ma gorge mais qu’il monte dans les sinus! Je dois donc prendre de grandes inspirations comme un Al Pacino devant son tas de coco.
Bon j’avoue, c’est autant dégueulasse qu’efficace. Je passe l’heure suivante à écouler des mollards éléphantesques qu’à s’y tromper, je jurerais que c’est mon cerveau qui part en lambeaux. En moyenne, chaque soin est répété quotidiennement pendant une semaine. Je mets en exergue ma capacité à remercier à chaque fois que le ghee vient gratter mes cavités. Je tiens tout de même à préciser que tout le monde n’a pas le droit aux mêmes traitements. Au final, tout dépend de votre dosha (moi je suis vatha-pitta) et de vos besoins du moment. Y’a pas de formule universelle et ça reste une médecine du cas par cas. Je suis d’ailleurs ravi d’apprendre que le Vamana Chikitsa est réservé aux dérèglements de kapha. Ce soin consiste à induire un vomissement intense et controlé. On vous fait boire une potion magique (non, ce n’est pas de l’ayahuasca) et quelques minutes plus tard, on croirait un remake au naturel de l’Exorciste. J’ai vu des images sur internet et je suis plutôt content d’y échapper. Je ne sais pas pour vous, mais perso, je préfère évacuer une bonne diarrhée qu’une vilaine nausée.
S’il y a des gourmands parmi mes lecteurs, sachez que les repas sont on ne peut plus sains et parfaitement calibrés pour vous sustenter. La nourriture est simple, équilibrée et assez monotone pour ne pas en faire tout un plat. Je n’éprouve plus l’appel du sucre à la fin des repas et ma seule doucerie du jour est un fruit servi à 16h avec une tisane gingembre-miel. J’ai enfin ‘le droit’ de sortir du centre, mais le contraste entre la quiétude ombragée de mon ashram et le brouhaha écrasant de la rue civilisée m’incite à rester enfermé. De plus, je suis prêt à parier que les moustiques sont dressées pour m’empêcher de m’extérioriser. Dîtes-moi si je psychote, mais j’ai l’impression qu’ils m’attendent sur le palier. À peine je sors le bout de mon nez que je me fais mitrailler jusqu’au bout des pieds. J’ai d’ailleurs lu une théorie, qui quoique fascinante, ne parviendra pas totalement à me pacifier. Tel des acuponctrices, les moustiques ne piqueraient que sur des noeuds énergétiques, et seraient donc plus médecins malgré elles que cruelles à temps partiel. Cette théorie vaut ce qu’elle vaut, j’y pense à chaque fois!
Une autre chose que j’ai remarqué, c’est que je ne mesure plus le temps de la même manière. Je me fais presque peur à apprécier la lenteur. Chaque matin, je passe devant un jacquier gorgé de gros fruits mûrs, dont un que les écureuils ont commencé à grignoter. Si tu ne sais pas à quoi ressemble un jacquier (jackfruit en anglais), je t’invite à voyager pour ajouter ce bijou dans la liste de tes fruits préférés. J’adore l’odeur suave qui s’en dégage et jour après jour, j’observe le passage successif de la faune locale qui, bouchée par bouchée, transporte sa chair sucrée. C’est un défilé coloré d’oiseaux, de lézards, et d’insectes que je ne prends en photo qu’avec mes yeux. C’est aussi une opportunité méditative sur l’impermanence de l’existence. Tout est mouvement, et tout doit circuler. Ce que je suis aujourd’hui, je ne le serai plus jamais. Cette opportunité qui m’est donné, ne se reproduira peut-être jamais Alors mon seul objectif est de pleinement en profiter et de me focaliser sur l’amour que je souhaite incarner - et du ghee que je dois assimilé. Dans le prochain épisode, je vous partage les autres soins exotiques que j’ai reçu, et spoiler alert, pour clôturer mon séjour en beauté, on m’a injecté 2 litres de bonheur dans le rectum. Merci de m’avoir lu Kevin La quatrième partie t'attend sur ce lien