Bon matin ✌🏻, Je vous écris depuis mon nouveau Jardungle en devenir. Je tapote ces mots, confortablement installé sur la seule chaise en notre possession, et j’observe un merle d'Amérique qui construit son nid sur notre garage. Nous sommes à présent dans le Colorado et j’aimerais vous raconter comment on en est arrivé là. Comment on a trouvé, ou peut-être plus justement, comment ce petit coin de paradis nous a appelés. Dans mon dernier article, je vous parlais d’un de mes rêves les plus chers: faire un korAkor avec une petite communauté et jardiner notre réalité commune. Qu’est-ce que j’entends par là ? Je vous résume. Le korAkor, c’est notre art de vivre. C’est créer des liens avec son environnement et tout mettre en œuvre pour rendre la vie encore plus merveilleuse pour tous et toutes (humains, animaux, végétaux…). C’est un rêve utopiquement pacifique, et pourtant, ça fait plus de 20 ans que je le vis. Pour nous, tout commence par le jardin, car c’est en jardinant qu’on tisse des liens. L’idée, c’est donc de jardiner avec et pour la communauté, et de créer un réseau d’entraide, de soutien et de générosité réciproque. On serait bien restés dans le Kentucky, dans ce joli quartier qui faisait pétiller nos projets (vous avez lu l’article à ce sujet ? Je vous le remets tout en bas), mais avant de pouvoir s’installer, on avait un autre petit rêve en tête: aller à Yellowstone.
Le parc national est dans le Wyoming, soit à l’autre bout de ce gigantesque pays, à quelque 3000 kilomètres de notre point de départ. Peu importe, quand le cœur parle, on l’écoute. Intuitivement, je savais que les réponses allaient venir en chemin, et j’étais persuadé que quelque chose (de bien) allait se présenter à nous… et je ne m’étais pas trompé. On a commencé notre périple vers l’Ouest comme les pionniers du 19e siècle, en quête d’une meilleure vie et d’un lopin de terre où planter leurs rêves.
Il fallait impérativement faire un petit détour par le musée dédié à Audubon. Vous vous rappelez de lui ? Je vous ai parlé de cet ornithologue hors pair et de son œuvre monumentale dans mon article sur les oiseaux, là où je vous présentais d’ailleurs le merle américain et sa poitrine orangée. La frontière entre le Kentucky et le Missouri marque un point essentiel dans la découverte (certains diraient 'conquête') de l’Ouest. C’est de là que sont parties les premières expéditions (Lewis et Clark) et que le sort des États-Unis s’est joué à plusieurs reprises. Le Missouri est comme vous l’imaginez: plat à souhait, avec de longues routes droites qui coupent les prairies mutilées par l’agriculture céréalière. On traverse des villes fantômes et des intersections maintenues en vie par une station essence qui fait tout: le café, les outils de jardin, le poulet frit, les cigarettes, mini casino (celui qui fait tching tching), du terreau, une supérette, et la vente d’alcool. C’est un spectacle vivant et j’adore observer le défilé de personnages qui traînent ici. Ils ont des pick-ups rouillés et défoncés à souhait, des bras maigrichons et musclés avec des tatouages délavés par le soleil. Ils parlent la bouche pleine tout en chiquant du tabac. Y’a des panneaux pro-Trump et anti-avortement un peu partout, et plus de drapeaux américains que nécessaire.
Le Missouri, c’est aussi des poches de forêts mystiques, exemplifiées par l’Ozark et sa fascinante histoire, et des formations géologiques impressionnantes d’où ont été extraits le marbre et le granit rouge qui ont bâti et fait la renommée des grosses villes marchandes comme St. Louis. On n’aurait jamais vu ces lieux si on ne s’était pas offert le luxe de 'perdre notre temps' à zigzaguer au lieu de rester sur la Highway 70. Ça ressemble aux nervures d’une feuille d’arbre: une route centrale toute droite entrecoupée de plein de petites routes pour s'enfoncer dans les terres. Petite escale à Kansas City, qui comme son nom ne l’indique pas, est la capitale du Missouri. C’est aussi la ville frontière avec le Kansas, et je me demande bien ce qui s’est passé pour qu’elle soit croquée par l’État du Missouri. On y visite un musée de la miniature qui nous fait plonger dans un monde de délicatesse, de patience et de minutie. On l’ignorait, mais il existe un univers parallèle dans lequel des artistes hors pair font des reproductions copie conforme des grands chefs-d’œuvre de la peinture, de la menuiserie et de l’architecture… J’ai pu voir la Joconde de la taille de l’ongle de mon petit doigt. ☝️J'ai fait un TikTok sur ce musée si tu veux jeter un oeil. Le Kansas ressemble au Missouri, mais en plus sec. L’univers fait bien les choses, car nous le traversons à la saison des feux de prairie. C’est un spectacle unique au monde, et encore plus appréciable car il ne reste qu’un minuscule morceau de cette prairie originelle.
Dieu soit loué, une toute petite portion a été sauvegardée grâce à l’omniprésence de gros silex dans le sol, qui a rendu fous les agriculteurs et fait baisser les bras même aux plus zélés. Malheureusement, cette étendue d’herbes hautes unique au monde, que l’on nomme la 'Tallgrass Prairie', est en perpétuel danger. Elle est menacée de disparaître un jour et survit grâce à une poignée de passionnés qui refusent de la voir s’éteindre. Elle courait tout au long du Mississippi, du nord au sud des États-Unis, et offrait un couloir immense pour les migrations de bisons, oiseaux et autres animaux. Aujourd’hui, il n’en reste que quelques hectares, à peine 2 % de sa taille originelle. Tu te souviens de Laura Ingalls? Et bien c'est un peu grâce à des gens comme elle que ces Prairies survivent.
Ça peut paraître contre-intuitif, mais les 'Indiens' ont de tout temps pratiqué la flambée contrôlée pour la maintenir en bonne santé. C’est ainsi que les herbes et arbres non désirés étaient contrôlés et transformés en fertilisant naturel. C’est un spectacle à la fois enivrant et perturbant. Ces magnifiques étendues d’herbes sont réduites en cendres et passent d’une couleur dorée à un noir profond en un clin d’œil. On suit des yeux la ligne de feu qui semble s’étendre à l’infini, laissant dans son sillage des nuages de fumée qui voyagent vers l’Est sur des centaines de kilomètres. D’instinct, j’ai envie de dénoncer la pollution atmosphérique, et je comprends pourquoi les citadins se plaignent de ce fléau annuel. Mais je sais aussi qu’à l’origine, cette cendre volatile était censée atterrir et nourrir les forêts, pas recouvrir les gratte-ciels qui les ont remplacées. Comment trouver un compromis ? Comment se positionner ? Comment comprendre que ces feux sont essentiels à la survie d’un écosystème ancestral, présent bien avant nous, et qui est justement le poumon manquant dont la planète a tant besoin ? On pourrait parler d’un génocide en faveur du progrès, une histoire qui se répète. Les plantes dépendent de notre voix pour s’exprimer. Je remercie donc les cailloux et les quelques 'ranchers' de sauvegarder ce patrimoine, en dépit de ce que l’on dit. Chaque année, ça fait polémique dans le Kansas, et chaque année, il y a ce même devoir de sensibilisation à l’écologie à mettre en œuvre.
Chemin faisant, j’aperçois Dodge City sur la carte, et je peux enfin y poser mon doigt. Il faut savoir que j’ai une passion secrète pour l’histoire américaine et que si mes pieds n’avaient pas le feu nomade aux fesses, j’aurais opté pour une carrière d’historien à l’université. Dodge City, c’est la ville phare du Far West. C’est ici même que le mythe du shérif salvateur est né avec des gars comme Wyatt Earp - le vrai Lucky Luke ! C’est une bourgade qui a joué un grand rôle dans l’histoire de l’Ouest, car c’est d’ici que des trains remplis de bœufs et de céréales partaient en direction de l’Atlantique pour nourrir les New-Yorkais. Dodge City, c’est l’épicentre des cowboys et c’est probablement ici que leur popularité est devenue virale. C’est drôle, car au final, un cowboy, c’est un berger à cheval. Alors oui, il a l’air majestueux avec son chapeau et son lasso, mais au fond, il passe sa journée à 'pousser' les vaches, à rester dans le sillon de leurs bouses, à se faire dévorer par les moustiques et emmerder par les mouches. Il fait d’interminables allers-retours entre le Texas et le Kansas pour livrer le bétail à l’abattoir. C’est tout de suite moins sexy, mais ils fascinent quand même. On a peut-être tous un cowboy en nous: un être qui choisit de vivre libre sur la route et dans les grands espaces, plutôt que de trouver sa stabilité dans la création d’un foyer.
En continuant vers l’Ouest, les plaines quasi désertiques du Kansas laissent place aux Rocheuses du Colorado. Sur ces interminables lignes droites, où s’accumulent les cadavres de ratons laveurs, tatous et cervidés, on a le temps d’admirer l’horizon dessiné de montagnes encore enneigées. La coupure est nette. On passe des plaines aux paysages montagneux en quelques minutes. On zigzague sur le Santa Fe Trail et les traces des migrants de l’époque. Ce que je trouve fascinant ne l’est pas pour ma fille, qui n’en peut plus de m’entendre parler d’histoire et de me voir pointer du doigt les lieux emblématiques de cette période. Mais bon, on fait l’école à la maison, et elle est coincée dans la voiture avec le prof ! Que rêver de mieux…
On entre par le sud du Colorado, car on voulait faire des roulés-boulés dans les immenses dunes de sable (petite vidéo) que le vent érige au pied des montagnes. Les journées sont chaudes et les nuits glaciales, alors on s’emmitoufle aussi chaudement qu’on peut dans notre minivan qui sent fort les pieds (et c’est moi le coupable !). Chaque jour de route, le paysage devient de plus en plus spectaculaire, et je réalise que cela fait plus de 25 ans que je m’étais dit : 'Un jour, j’irai vivre au Colorado'. Et si ce fameux jour était ici et maintenant… Mais pour le moment, rien ne clique vraiment dans mon cœur. On explore des endroits plus que fabuleux, et le hasard de la route nous fait découvrir des bijoux de création, comme ce château construit à la main par un visionnaire un peu déjanté (ne le sont-ils pas tous ?), le Jardin des Dieux et ses paysages envoûtants, ou encore le village coloré de Manitou Springs, connu pour sa source naturellement pétillante (et son antique salle de jeux d’arcades où l’on joue sur des flippers du siècle dernier pour 5 centimes). Tout est tellement beau, et pourtant, je ne ressens pas l’appel de mes tripes. Ce n’est pas tout à fait le Colorado où je rêvais de vivre. Alors on continue notre route vers le nord-ouest pour rendre visite à ma belle-sœur, qui a trouvé un job d’hiver dans une petite station de ski.
Pour aller jusqu’à Steamboat Springs, on doit passer par Denver et affronter un grand col de montagne surnommé 'les oreilles de lapin'. La météo est clémente et, avant de changer de vallée, on décide d’aller voir un autre lieu mythique: le Red Rocks Amphitheatre. C’est un lieu magique pour les concerts, les cinémas en plein air, et aussi réputé pour ses cours de yoga au format XXL : 2000 personnes !!!
On campe juste à côté pour être sûrs d’arriver au lever du soleil, sauf que dans la nuit, une mini tempête de neige déferle sur nous, et on se réveille dans un igloo sur roues. Pour se consoler, on se dit que peu de gens ont vu l’amphithéâtre sous la neige, et qu’au moins, on se souviendra longtemps de cette journée. Le souci que j’ai, c’est qu’il nous faut encore traverser ce fichu col sous la tempête menaçante, et que, comme par hasard, à chaque fois que je freine, la voiture se met à trembler de toutes parts (sûrement une pièce à changer). Les trois heures de route sont terrifiantes, avec les gros camions américains qui dévalent la pente à toute allure et me font bien comprendre que j’entrave leur chemin. Heureusement, on est immatriculé en Floride, ce qui les avertit que des oiseaux tropicaux comme nous n’ont pas l’habitude de rouler sous la neige. En bonus, mes essuie-glaces font des siennes, et il y a tellement de glace accumulée sur le pare-brise que j’ai l’impression de mater le Canal+ du pauvre. Le dicton s’avère véridique : après l’orage vient l’arc-en-ciel. Sans vous mentir, au moment même où l’on retrouve un semblant de plat, un immense soleil nous accueille dans cette nouvelle vallée où coule la Yampa, la seule rivière 'libre' du Colorado. Par libre, j’entends qu’il n’y a pas de barrage hydraulique pour entraver son flot naturel. Une rivière qui coule à son rythme… ça me plaît comme idée. Steamboat Springs est une petite station de ski mondialement connue. C’est la ville des Olympiens, et ça grouille de vie pendant la longue saison de ski. Un petit appart qui ne paye pas de mine peut valoir plus de 500 000 $, et c’est pour cette raison que beaucoup de gens (les travailleurs) ont migré dans les villages alentours. On arrive donc à Hayden, une petite bourgade de 'ranchers' à 40 minutes de Steamboat, qui s’est développée suite à la flambée de l’immobilier. C’est là que nous allons rendre visite à ma belle-sœur, avant de continuer la route vers Yellowstone. Enfin… c’est ce qu’on croyait. Quelque chose d’assez improbable s’est passé dès notre arrivée à Hayden. Et c’est ce que je propose de vous raconter dans le prochain épisode. Restons connectés, abonnez-vous au flux, et suivez l’aventure… **Spoiler alert** : Je vous écris depuis mon nouveau jardin à Hayden, et je suis déjà en train de distribuer des plantes à tout va. Vague de love, Kevin 👉 Article sur la vision d'un jardungle communautaire au Kentucky 👉 Article sur Aududon et ma passion pour les oiseaux (comme ça vous voyez la tête du merle d'Amérique)