Dans la lumière silencieuse de l'aube, quand le quartier s’éveille à peine et que mon café est encore parfaitement fumant, j'écoute l'annonce du Printemps que les oiseaux sifflotent secrètement. Ces boules de plumes sont des messagers discrets, parfois invisibles, nous bénissant des vibrations d’un chant ancien. Les rencontrer est un voyage en soi, sans avion ni valise, aux portes de chez toi. Un tête-à -tête que je capture à coup de plumes et de pinceaux. Je les observe de loin, par respect pour leur pudeur, et invite l'immobilité pour les laisser approcher. J'aimerais pourtant les voir de plus près, perchés sur mon bras et caresser du doigt leur plumage qui doit être doux comme un doudou.
Au fil des voyages, je me suis découvert une timide passion pour l'ornithologie sans prétention. J'ai croisé des oiseaux dont je ne connaîtrai jamais le nom et d'autres que j'ai voulu croquer dans mes carnets. Je me souviens des majestueux comme le quetzal au Guatemala, le paille-en-queue de la Réunion et le calao aperçu dans un zoo. Et puis un jour, au travers d'une BD, j'ai croisé un compère unique en son genre - un homme que la passion a poussé vers la déraison. Si vous ne connaissez pas encore M. Audubon, vous allez probablement me remercier à vie de vous en avoir parlé. Je me suis par ailleurs inspiré de son oeuvre pour les illustrations qui suivent. Promis, je reviens vers lui dans un instant, mais place aux vrais héros de mon récit. J'écris ces lignes depuis le Kentucky où je fais connaissance avec les passereaux locaux. Alors, je me suis dis que peut-être vous aimeriez aussi les rencontrer. Il y a d’abord le Merle d’Amérique, au poitrail orangé et l'œil de blanc encerclé. Il sautille entre les brins d’herbe et les feuilles mortes, à la recherche d'un vers à sucer. Il n'est pas farouche et semble être le maître de son petit royaume. Il gratouille les restes d'hiver et les promesses d'Abondance. Son chant mélodique est un régal matinal (il commence à 4h) et c'est aussi lui qui clôturera le bal du soir avec ces cui-cuis emplis de OUIs.
Le Cardinal Rouge me murmure un souvenir de ma grand-mère disparue qui adorait sa robe corail. Flamboyant comme un trait de pinceau dans un paysage encore endormi, il joue à cache cache avec mon regard entre les branches qui débourrent. Il n’a pas besoin de faire grand-chose pour être remarquable. Il est, simplement, et cela suffit. Je l'aime d'un amour qui ne s'explique pas. Sa présence me réconforte car je me dis que ma 'Yaya' est encore et toujours là .
Le merlebleu de l’Est, lui, c’est un charme plus doux, plus discret. Le genre de bleu qui ne cherche pas à éblouir mais à caresser l’œil. Une touche de couleur au milieu des branches nues. Si petit et si fragile, je rêve de lui planter des haies dans tout le quartier.
La mésange de Caroline, quant à elle, me rend nostalgique. Je repense au merveilleux jardungle que j'avais planté au MonasTerre et à toutes les mésanges qui m'accompagnaient au quotidien. Leur cousine américaine est une version un tantinet moins colorée, plumée de noir et blanc uniquement, mais n'en est pas moins curieuse ni acrobate pour autant. Sa taille minuscule ne l’empêche pas de prendre toute la scène et je sens bien que si je m'installais dans le coin, on serait copain.
Je termine les présentations avec le Pic à tête rouge et sa crête écarlate. Je l'entends tambouriner les troncs desséchés à la recherche de petites bestioles qui se croyaient en sécurité. Il dialogue en code morse et je lui réponds en tapotant des rythmes entrainants sur le bois vieilli de mon rocking chair. Je l'entends plus que je ne le vois, et c'est parfois parfait comme ça.
Revenons à Audubon. Il y a des rencontres qui ne passent pas par la chair, mais qui laissent une empreinte indélébile. J’ai rencontré Audubon dans une bande dessinée un jour où le hasard était de mon côté. Une livre posé au coin d’une table, et un nom que je connaissais plus ou moins mais de loin. Un confrère poète que l'Univers mettait sur ma route. Grand, sauvage, passionné. Les cheveux longs, le regard fiévreux, l’âme rivée sur rien d'autres que les oiseaux. Il n’était pas juste naturaliste — il était habité, possédé, déplumé. J’ai voyagé avec lui entre les pages, à travers les marais et les forêts d’Amérique. J’ai senti la moiteur des bayous, entendu les battements d’ailes qu’il traquait, le fusil sur l’épaule, le carnet sous le bras. Et dans le silence de certaines nuits, je l’ai vu dessiner jusqu’à l’épuisement, les doigts tachés d’encre et de sang, les yeux pétillants d’émerveillement.
Audubon avait cette folie douce des passionnés. Il tuait les oiseaux pour mieux les immortaliser — paradoxe cruel peut-être, mais dicté par le feu d’une époque. Il les posait, les épinglait, leur redonnait un dernier envol avec ses pinceaux. Et sous ses doigts, ils reprenaient vie. En mouvement statique et poétique. En majesté incontestée. J’ai eu la grâce de voir des originaux de son oeuvre titanesque dans des musées américains. Ses dessins ne sont pas des dessins, ce sont des instants d’éternité, des rencontres vivantes figées sur papier. Une précision chirurgicale qui à mes yeux ne connait pas d'égal.
Il y a donc un peu de moi en Audubon, ou de lui en moi, à la différence que je croque les oiseaux vivants avec la poésie de mes yeux. Je le remercie pour son travail acharné et pour ses pinceaux dévoués qui lui ont couté sa famille et sa santé. Je prie pour tous ces oiseaux sacrifiés au nom de la postérité et me réjouis tout de même que, grâce à un fou qui s'est dit OUI, de nombreuses espèces sont protégées et immortalisées. De mon côté, je m'apprête à traverser les USA d'Est en Ouest, à la rencontre de nouvelles plumes, en direction du Montana. Je te conterai mes aventures sur ce blog, donc pense à t'abonner pour suivre mes battements d'ailes. Et quand vous buvez votre premier café, pensez à moi, et sortez les observer.
Vague de love d'un poète troubadour en quête d'Amour.
Kevin
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I love your writing. You really are talented.