Ça fait un peu plus d’un an que je n’ai pas bu une goutte d’alcool et pour être honnête, pas grand chose a changé pour moi. Je ne peux pas vraiment dire que je me sens mieux, que je suis plus heureux ou que ma vie a changé. Et pourtant, j’ai aujourd’hui la conviction que je ne boirai plus jamais. C’est peut-être une illusion ou une fausse promesse, mais au moment où je vous écris ces lignes, je suis à des années lumières de remettre de l’alcool dans mon système. J’ai échangé l’alcool pour quelque chose de tellement plus grand, nettement plus nourrissant et infiniment plus gratifiant. Aujourd’hui, je bois …. Et non, je n’ai pas de marque ni de produit miracle à mettre ici. Je bois de l’eau.
Est-ce que ça a été facile d’arrêter? Bien évidemment que NON! Je kiffe boire! Je kiffe mon buzz ! Et j’ai même écrit un recueil de poèmes intitulé ‘Les Monologues du Rhum’. Je vais donc commencer mon récit vers la sobriété par te faire les louanges de l’alcool. J’ai tenu longtemps avant de boire ma première goutte. J’étais sportif de haut niveau - aussi haut que trois pommes mais dans ma tête, c’était clair et net, j’allais devenir footballeur professionnel. J’ai donc traversé mes années lycée et mes soirées estudiantines à boire du sirop et à regarder mes amies vider des bouteilles puis remplir la cuvette des WC. Nul besoin de brutaliser mes intestins avec leur venin de sagouin.
Et puis un jour, j’ai craqué. J’ai brisé le sceau sacré de ma virginité. Je me suis laisser pénétré presque par surprise par Olivier, un gars qui m’inspirait la légèreté. C’était lors de mon premier jour en tant que surveillant de lycée et à la pause du midi, il m’a proposé de partager une ‘quille’ avec lui. À cette époque, il était encore commun de boire du vin à la cantine et je me suis laissé happé par ses familiarités. Mon nouveau pote Olivier était un alcoolique fort sympathique, et comme tout picolo rigolo, il préfère boire mal-accompagné que louper une opportunité de s’enivrer.
J’ai donc connu mon premier buzz en plein service. J’ai donc été payé pour être à demi bourré. Ok, ce n’est pas ma plus grande fierté, mais ça valait le coup de le souligner. Cette fameuse quille est devenue la béquille quotidienne de nos conversations de pacotilles. Je trouvais ça génial. On flottait dans les couloirs en attendant la fin de service. Et puis un jour, j’ai acheté ma première bouteille de vin - une piquette à moins de 3€ avec un beau château comme logo. À l’époque, c’était l’état de conscience modifié que je recherchais et non pas la rondeur de la cuisse ou les goûts fantaisistes que les cavistes insistent qu’ils existent.
Je me souviens très bien de ma première illumination éthanolisée. C’était un soir de noël, j’étais allongé dans la neige, sous une lune aussi pleine que moi, ivre de bonheur et de Cahors, à dessiner des anges au sol. J’avais la tête qui tournait et les idées qui virevoltaient. Je me sentais enjoué d’exister. C’était un sentiment de liberté et de légèreté que je n’avais jamais connu avant. Je lâchais enfin prise sur la rigueur que je m’étais infligé toutes ces années. Je fondais comme les flocons que je gobais. Je fusionnais avec l’Unité et le Sacré. Je décrassais les vannes de ma créativité à grandes goulées de sang du Christ.
Et puis un jour, j’ai gouté aux alcools forts, et particulièrement au rhum. C’était à Cuba et ce fut un coup de foudre immédiat. Chaque gorgée nourrissait l’homme tropical qui sommeillait en moi. Je me voyais vivre en chemise fleurie dans des ilots paradisiaques où l’on ne mourrait pas de vieillesse mais de crise cardiaque. Je me suis totalement et volontairement laissé influencé par Ernest Hemingway, les propos du maître Gonzo et le barman mélomane qui m’introduit au Capitaine Morgan. Au début, je coupais mon rhum avec du cola pour que Cuba reste Libre. Puis un jour, j’ai basculé du côté ambré.
Bon, je vais couper les détails à l’eau car le but de ce récit est de vous expliquer pourquoi et comment j’ai arrêté de boire. Promis, je vous réserve de longs chapitres sur mes déboires alcooliques dans mon roman de vie poétique. Je pense qu’il est vraiment important de souligner que je n’ai pas de mauvaise relation avec l’alcool. On a été de très bons potes et j’ai passé de formidables soirées grâce à cet élixir doré. J’ai ri à en pleurer, j’ai dit OUI à des trucs insoupçonnés, j’ai rencontré des personnes fabuleuses et j’ai vécu des mésaventures hilarantes qui remplissent les pages de mon autobiographie. Oui, j’ai été parfois bourré, et j’ai drôlement titubé, mais je n’ai que très rarement abusé au point de me mettre en danger. Mon plus gros soucis, c’est que c’était devenu un rituel bi-quotidien, et que je rythmais mes journées autour d’un temps alcoolisé. Mes journées parfaites se concluaient inévitablement par un verre (ou deux) avec un cerveau qui flottait sur un nuage de tranquilité. Le pire, c’est que je n’avais besoin de personne pour boire. Ma bouteille de Zacapa et quelques glaçons étaient de merveilleux compagnons. Je ne buvais pas pour oublier, mais pour grattouiller les cavités inexplorées de ma créativité.
Alors pourquoi ai-je arrêté de boire? Même si j’ai toujours apprécié mon buzz, il y a une part de moi qui se sentait coupable de faire ça à mon corps. Je n’arrive pas à associer l’alcool avec la santé. La médecine a beau prétendre qu’un verre de rouge est bénéfique pour le sang, je reconnais aussi en moi la voix du Dr. Piccolo qui abuse des excuses pour lisser mes incohérences. Le pire, c’est que même si je sais à quel point l’alcool est néfaste pour moi et mon foie, j’ai toujours trouvé des excuses bidons pour me déculpabiliser. Je trouve les contre exemples dans la populace pour justifier ma soif de vinasse. Regarde ces vieillards imbus de pinard qui tiennent rient à pleines dents au coin du bar! Et puis y’a mon pote sportif qui se met pourtant des grosses mines le weekend. Bref, y’aura toujours pire que moi, et vue de l’extérieur, ils ont pas l’air si mal en point les coquins! C’est trop facile de se comparer aux cas exceptionnels pour en faire des généralités. Et puis, la Santé n’est pas qu’une affaire d’apparence. La détérioration psychologique ne saute pas aux yeux.
Pour ma part, y’a vraiment deux éléments qui m’ont aidé à lâcher. Le premier, c’est un article qui expliquait que chaque verre d’alcool anéantissait nos précieux neurones par milliers. C’est comme si notre cerveau était soluble à l’alcool et qu’il s’effritait à chaque gorgée. Et s’il y a bien une chose que j’aime chez moi, c’est ma capacité à créer et penser. Heureusement, en dépit des bouteilles que j’ai dilapidées, il me reste assez de neurones pour imaginer ce que serait ma vie sans l’imagination, sans la remise en question, sans la jouissance de la réflexion. La deuxième information qui a fait tilt dans ma petite tête, c’est d’avoir compris comment l’alcool jonglait avec mes hormones. Bon ok, j’avoue, je risque de massacrer la science et de dire des âneries, mais au nom de la sobriété, je m’autorise à vulgariser ce qui m’a permis d’arrêter. Dès qu’on boit un verre, nous avons un rush de dopamine et c’est pour ça que c’est si bon! Ce shoot est tellement puissant, et non-naturel, que le corps se doit de réguler cet excès. Il envoie alors d’autres hormones pour contrebalancer et nous faire redescendre de ce joli nuage. Ça semble plutôt logique, sauf que la dopamine ne reste pas très longtemps active alors que les hormones qui ont été envoyées en secours vont trainer dans notre cerveau. En clair, boire de l’alcool va nous laisser avec un cerveau en mini dépression et c’est pour cette raison que le corps va redemander un petit shoot de dopamine. C’est un cercle vicieux.
Je vois ça un peu comme l’agriculture. Si tu commences à mettre de l’engrais, au début tes plantes vont te donner un max de retour positif, mais tu vas constamment devoir en mettre et remettre. À terme, tu détruis la fertilité inhérente de ton sol et tes plantes seront toujours dépendantes d’une intervention chimique. C’est une forme d’emprisonnement et c’est très loin de la liberté originelle que je pensais trouver dans mon buzz de fin de journée. À chaque fois que tu bois, tu fais un pas de plus vers une dépression invisible. Je dis invisible car tant que tu bois, tu ne vois pas tout ça. T’es shooté à la joie artificielle et t’es bien souvent encouragé par ceux et celles qui font comme toi! On ira boire un verre pour soigner la tristesse, noyer le cafard, ou créer l’envie de se retrouver entres amies. C’est seulement quand t’arrêtes que tu te rends compte à quelle point la vie semble fade au début! Et c’est bien pour ça qu’on continue de boire. Certes, la fête est moins folle sans alcool mais la richesse d’un sol décolle avec de bonnes pratiques agricoles. J’ai arrêté d’un coup. Du jour au lendemain, un matin de juin. J’avais pourtant encore de bonnes bouteilles à terminer, et un été de voyages à entamer. Le plus difficile pour moi, c’était de casser les habitudes. Mon corps tout entier me suppliait de boire une petite gorgée. Je ne trouvais plus ma bière fraiche avec une bonne session dans le jardin. Le plateau de fromage me semblait insipide sans un verre de rouge. Je levais quand même mon verre pour trinquer mais j’étais le seul à boire de l’eau aromatisée. Et puis, y’a toujours les amis généreux qui essayent de te convaincre qu’un verre ne te fera pas de mal, ou que l’essentiel c’est de ne pas en abuser.
La tentation est partout et y’en aura pour tous les goûts. C’est un choix à faire entre toi et toi, et perso, je vois ça comme un cadeau plus qu’un fardeau. Pour conclure ma petite histoire, je voudrais te partager 3 choses que j’ai remarqué: - Chaque verre d’alcool que je refuse me fait avancer sur le chemin de ma liberté. La liberté de refuser plutôt que celle de tout l’autoriser. - L’alcool est omniprésente et banalisée. On boit partout et à toute heure. C’est même devenu un symbol de détente, et dans une société perpétuellement stressée, c’est très facile de vous faire consommer. - Mine de rien, ne plus boire d’alcool m’a fait économiser un sacré budget. En un an, j’ai épargné l’équivalent d’un billet ‘tour du monde’ pour une famille de 3. Boire le monde ou le voir... Je voulais terminer ce récit par une petite invitation. Je pense que c’est important de parler publiquement de sobriété. De mon côté, j’ai vu que ça a inspiré plusieurs amies à faire le pas et suivre la marche. Je sais que c’est difficile d’arrêter, et je sais aussi que tu n’es pas seule! Y’a des gens pour t’aider, te soutenir et te rappeler que le chemin de la sobriété mène vers une vie plus alignée. Je suis là pour toi si tu n’as personne d'autre sur qui compter. Vague de joie Kevin * Voici un poème sur les petits bars de village et les pilliers de comptoirs