J’ai perdu ma mère à quelques jours de mes 40 ans. Ce n’est pas ma mère biologique, ni ma mère spirituelle. C’est ma Mama mexicaine et je voudrais lui faire honneur à sa hauteur - même si elle ne m’arrivait pas au menton. J’ai rencontré Mama Juana en 2009. À l’origine, je suis allé au Mexique pour rencontrer le Peyotl, ce petit cactus qui a permis à l’humanité de s’ouvrir aux mondes subtils - une plante médecine par excellence.
Je suis arrivé à Mexico City, ou El Monstro comme on l’appelle. Je n’ai pas peur des monstres, mais je me suis rapidement réfugié dans les quartiers artistiques de Coyoacán, chez Daniel, un nouvel ami photographe qui deviendra un frère pour moi. On a longuement trainé ensemble, pris des tas de clichés colorés et joué à mon jeu préféré = répandre l’amour. C’est d’ailleurs lui qui tenait la caméra quand j’ai lancé mon premier Love Carpet (Tapis de l’Amour). J’étais sur le point de quitter la ville pour me plonger dans le désert de Potosì, mais ma destinée fut détournée lors de notre dernière soirée. C’est en trinquant notre amitié avec une boisson alcoolisée que tout a commencé.
J’étais venu chercher la Mescaline du Peyotl et je fini par rencontrer le Mezcal du Maguey. Mon chemin de vie fut bouleversé à trois lettres prêt. Le Mezcal est un alcool issu de la distillation de l’agave (le Maguey), et Daniel connait une fabrique artisanale au savoir ancestral. Je change de programme et je décide d’aller me frotter à cet univers si particulier. Après des longues heures de bus et de taxi collectif au travers d’un paysage qui m’enchante, j’atterris dans un petite bourgade indigène, à 1h30 de Oaxaca. Je me retrouve chez les Zapotèques, une peuplade originale et peu banale, qui incarne à merveille l’adaptabilité sélective. Ils parlent espagnol mais préfèrent leur langue régionale, voire même communale car chaque village a ses spécificités linguistiques. Ils se moquent des changements d’horaires saisonniers, et l’église catholique a durement négocier pour accepter les dérogations à la rigidité. Je rencontre enfin cette famille de producteur et leur propose un petit film documentaire sur leur art populaire. Je devais rester quelques jours à peine et j’ai fini par m’y installer. Je suis devenu un énième fils pour Mama Juana et un frère de la tribu grandissante.
J’ai appris tout ce que je pouvais apprendre sur le Mezcal et j’ai même eu mon propre lit dans la chambre commune. Je n’étais pas cet étranger qui visitait mais cet enfant blanc qui revenait chez maman - blague tellement sérieuse que le village y a cru. J’ai passé beaucoup de temps aux champs et mes nuits devant les alambics pour récolter le précieux liquide.
Je passais la plupart de mon temps avec Mama. J’observais ses gestes, ses habitudes, et ses mimiques. J’ai fini par chopper son accent et ses manies de mamie. Mama Juana incarne la patience et le dévouement. Peu importe l’heure et le prétexte, quand un invité se présentait, elle cessait toute activité pour l’asseoir et le recevoir. Un café, une omelette, un tortilla - elle trouvait toujours quelque chose à partager. Il y avait constamment un truc sur le feu qu’elle attisait avec des bouts de bois ou presque n’importe quoi.
Mama est un puit de savoir qui ne se tarie pas. Elle ne savait pas bien lire, ni franchement écrire, mais à quoi bon car c’était une encyclopédie qui sourie et c’était à moi d’y piocher la connaissance. Elle faisait du chocolat en partant de la fève crue. Elle torréfiait notre café sur une plaque d’argile. Elle dépouillait les dindons, cultivait des citrons et soignait les bobos avec précisions. Chaque matin, je la voyais penché sur une grosse pierre à transformer le maïs en galette. Et pendant que les haricots cuisaient sur les braises, elle s’endormaient devant la télé qui la divertissait. Elle adorait ces séries à l’eau de rose, avec des caballeros qui proposent une dose de superpose à ces jeunes filles qui n’osent.
Je la faisais beaucoup rire et comme le dernier de ses enfants, j’avais des permissions exceptionnelles. Elle était diabétique et nous cuisinait toutes sortes de confiseries pour le plaisir de nous voir sourire. Bref, c’était une maman hors temps et on s’est aimé sans même y penser. Mes départs lui étaient très douloureux et c’était de chaudes larmes qu’elle versait à chaque fois. Quand je suis revenu avec mon épouse, elle a reconfiguré sa petite maison, pour nous créer un mignon cocon. J’étais chez moi, au près de ma Mama. En tant que fils de Mama Juana, et assistant Mezcalero, j’étais très bien vu dans le village. Si bien qu’on m’a offert un bout de terre pour y créer mon paradis imaginaire.
On s’est construis une cabane en plein désert, et on a planté tout ce qui fallait pour y vivre à perpétuité. Et puis, à force de lancer des graines de partout, une toute petite a fini par s’enraciner dans les entrailles de ma chérie Gina. C’était la fête au village! Un nouvel enfant pour agrandir la tribu et une joie d’être grand-maman. Sauf que ce n’est pas dans ces conditions qu’on voulait accoucher. On avait pas d’eau, ni électricité, et le soir, on été entouré de coyotes affamés. Et puis, le rêve de Gina était d’avoir son premier enfant en France, dans un village sorti tout droit de la Belle et la Bête.
On pensait revenir rapidement, mais notre absence s’est prolongée. Et malgré les photos et cartes qu’on lui envoyait, elle espérait vraiment me revoir et serrer dans ses bras sa petite fille. En plein Covid, Rosa, ma soeur méxicaine a insisté pour que j’appelle Mama car elle sentait la fin venir. Je pensais pouvoir m’envoler pour le Mexique et on a dû annulé le voyage pour des raisons trop compliquées à expliquer. Je n’ai jamais eu le courage de l’appeler pour discuter avec elle. Je repoussais toujours cet appel qui était pourtant écrit en gros sur la liste de priorités. Je me disais que j’irai lui faire la surprise en débarquant à l’improviste, pour son anniversaire. Sauf, qu’elle n’a pas vécu assez longtemps pour cette surprise. Elle a attendu 8 ans pour me revoir et je ne me suis jamais pointé. Ce qui me chagrine le plus, c’est que sur son lit de mort, elle a parlé de moi et a demandé à sa vraie famille de me dire à quel point elle m’aimait. Elle est partie avec une prière pour mon bien-être et celui de ma petite famille. C’est triste, je sais. Je me sens aussi un peu lâche de ne pas avoir téléphoné. D’un autre côté, au Mexique, les morts de sont jamais vraiment partis. Ils sont présents au quotidien et nous avons l’opportunité de les retrouver chaque année.
J’irai donc danser avec elle pour Dia de los Muertos et nous irons déverser une goutte de Mezcal sur sa tombe fleurie. La bonne nouvelle, c’est que sa famille (et vous-même) peut garder son souvenir vivant grâce aux photos et vidéos que j’ai gravé d’elle. Merci de m'avoir lu et pense à t'abonner si mes mots résonnent en toi love love love Baba Mama qui fait le chocolat
La petite vidéo sur le Mezcal
Une petite vidéo sur notre ferme au Mexique qu’on a quitté pour venir en France
Tant de mots me sont venu pendant que je lisais ces jolis mots plein de reproches, d'amour et de passion de vie. Mais juste une image, celle d'un cœur qui continu à battre où qu'il soit. la terre bat avec le sien et le tien
Emoción, sentimientos y amor... que bonito lo que has escrito... seguro que Mamá Juana esta super feliz 🙏😌